mardi 28 juin 2016

LES ENQUÊTES DE L'INSPECTEUR HARRY SONN : Chapitre IV

                        

           Mais où est donc passé l'Inspecteur Harry ?

Même s'il ne mange plus de sucre depuis belle lurette dans l'espoir de voir disparaître le discret petit pneu qui enrobe sa taille, une fois de plus, le commissaire rêvasse  en tournant machinalement sa petite cuillère dans un  mug de café bien serré. Le coude appuyé sur le bureau, de ses doigts il fourrage ses cheveux grisonnants comme pour essayer de démêler les idées noires qui se télescopent dans sa pauvre tête depuis que son ami et plus fin  limier, l'Inspecteur Harry Sonn, semble s'être volatilisé. Certes, Harry l'a habitué à des méthodes pour le moins peu orthodoxes mais  il n'a plus donné de nouvelles depuis bientôt un an et cela n'est pas dans ses habitudes.
Les explications les plus folles lui viennent à l'esprit :

Harry enlevé, enfermé et torturé dans une ferme abandonnée de Duault par un groupuscule d’extrême-droite raciste qui, dans un blog, commente la vie locale à la sauce nazillarde et s'exprime en Street Art sur les murs et les vitrines de Callac ou des environs.

Ou encore le corps d'Harry découvert dans la Forêt de Coat Noz enseveli  sous un tas de déchets miniers au fond d'une mine «  propre et verte »  par les adeptes d'une secte sous la coupe du Grand Varice Khan, un certain Docteur Goodhouse ( Bonnemaison pour les non-anglicistes ), qui pense sauver le monde en lui promettant l'Eldorado ( Littéralement, «  La Terre de l'Or » pour les non-hispanisants ).

Ou encore la dépouille calcinée d'Harry découverte dans le fournil d'un boulanger d'une autre ville prêt à tout pour conquérir le marché du Collège de Callac quitte à fragiliser un peu plus le tissu économique de la cité de Naous déjà bien malmené ces temps derniers.

Ou encore Harry retrouvé noyé dans le port de Paimpol, le corps lesté d'une immense statue en granit de Saint Tugdual ou, peut-être, pourquoi pas, d'un élément  « minéral » du jardin de Pors Anken.

Le commissaire essaie de chasser ces images sans queue ni tête qui surgissent de son inconscient  mais, rien à faire, la question revient, obsédante : « Mais où est donc passé Harry ? » et de nouveau les scénarios les plus loufoques arrivent au galop :

Harry dévoré par une colonne d'insectes emmenés au combat par une énorme reine frelon asiatique  ravageant tout sur son passage.

Harry massacré par une meute  de Hooligans anglais  partisans du « Leave » qui auraient confondu le maillot d'En Avant Guingamp avec celui des Diables Rouges belges qu'ils assimilent à l'équipe de la Commission de Bruxelles.

Perdu dans ses pensées, le commissaire est surpris par l'irruption de la nouvelle fliquette qui vient lui déposer l'énorme tas de courrier qu'il va bien lui falloir consulter. Le doux visage rond d'Enora, son franc sourire et ses yeux rieurs l'arrachent un instant de son cauchemar éveillé .
   «  Quelque chose ne va pas , Commissaire ? 
        -  Non ! ...enfin, si…. Vous savez bien… je...
        - Vous pensez à Harry ?
       - … Oui… je n'arrive pas à comprendre : aucunes  nouvelles depuis des mois. Pourtant, il n'était pas sur une grosse affaire. En plus il pensait l'avoir bientôt bouclée. Une simple affaire de tags. Il était sur une piste, Douar Didoull. Et puis plus rien ! Pas un coup de téléphone rien, rien depuis l'été dernier …
       -  Mais , je vous l'ai déjà dit, Commissaire,  ne vous en faites pas.  Harry reviendra bientôt.
        -  Qu'est-ce-que vous en savez ? Vous me cachez  quelque chose ?
      -  L'intuition féminine, Commissaire, juste l'intuition féminine » répond Enora qui part dans un grand éclat de rire en lui tournant le dos. 
Le commissaire suit des yeux sa jeune collègue qui emporte avec elle  de son pas chaloupé toute l'insolence et l'insouciance de la jeunesse. Il lâche un soupir de lassitude quand, tout à coup, son regard est attiré par une carte postale qui semble glisser du gros tas de courrier comme une invite  à s'occuper d'elle en premier. Il s'en saisit...
  
Dans une usine à la Beaubourg où s'entrelacent escaliers, tuyaux et plateformes métalliques, on aperçoit des ouvriers, stupéfaits, en arrêt devant  une petite plante verte qui vient de germer à travers le sol bétonné. Dans la bulle qui sort de la bouche du chef d'atelier en train de téléphoner,  on lit : «... Passez-moi la sécurité !! »
Encore de la propagande de ces trublions d'écologistes pense le commissaire et il s'apprête  à jeter la carte à la poubelle quand, au dos, il reconnaît la chaotique  et presque illisible écriture d' Harry :

«  Patron, désolé de ne pas vous avoir donné de nouvelles plus tôt. Mon enquête sur les tags de  Callac m'a entraîné jusqu'à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Dans un premier temps, il ne m'a pas été difficile de m'y infiltrer mais, par la suite pour rester crédible,  j'ai dû couper tous les ponts et faire pour quelque temps table rase de mon passé.
Ce séjour parmi les ZADISTES m'a convaincu et j'ai décidé de  rejoindre le mouvement. Venez voir par vous-même ce qu'est réellement une Zone À Défendre; rien à voir avec la propagande du gouvernement et de la multinationale VINCI.
À bientôt,
Harry. »
  
Le commissaire est abasourdi.
Harry Zadiste ! Ne ke posub ! Comme d'habitude, sous le coup d'une grosse émotion, son breton maternel lui revient. Harry Zadiste ? Je ne peux y croire. On l'aura drogué, on lui aura lavé le cerveau !
Le commissaire se lève d'un bond, attrape son pardessus sur le porte-manteau et passe en trombe devant Enora éberluée, en lui criant. :
  «  Je file à Notre-Dame-des-Landes ...
       -  Mais votre rendez-vous avec le sous-préfet, Commissaire ?
       -  Qu'il aille se faire voir ailleurs, j'ai d'autres soucis !
       -  Commissaire ! s'écrie Enora, choquée et le rouge aux joues. Commissaire…. »
Mais pour toute réponse,  elle n' entend que le claquement d'une portière et le strident crissement de pneus de la grosse  C5 noire du commissaire qui démarre ...

                          À suivre...