Huit
heures sonnent à la basilique voisine, un café noir et brûlant
fume sur le bureau du commissaire...
-
Dites-moi, Inspecteur Harry Soon, vous
en êtes où de cette affaire de tags au foirail de Callac ?
- Patron, vous me
surprenez là, vous ne pensez pas qu’il y a des affaires plus
importantes en ce moment ?
- J’entends bien,
j’entends bien... mais comme vous n’avez pas l’air de briller
sur les grosses affaires, je me disais que, peut-être, vous aviez eu
un peu plus de succès sur les petites et que, modeste comme à votre
habitude, vous aviez omis de m’en informer...
- Franchement,
Patron, votre humour me laisse froid.
-
Certainement pas autant que le jeune homme du Bacardi, Harry...
-
Excusez-moi, Commissaire, mais c’est d'un goût ! Je vous ai connu
plus délicat ! Pourtant je dois reconnaître que cette
malheureuse affaire piétine bien que tous les moyens aient été
mobilisés.
-
Oui, c’est toujours ce qu’on dit dans ces cas-là. Il vous faudra
trouver
une autre excuse, Harry... Il paraît que les scellés n’ont
toujours pas été levés sur le Bacardi ?
-
Affirmatif ! Le juge a seulement autorisé l’enlèvement du
matériel début mars. Il veut conserver tous les indices en l’état.
- Ben dites donc ! Ça
doit sentir le renfermé tout ça après plus de deux mois !
- Vous avez du
flair, Patron, mais celle qui se « sent » mal aussi dans
l'histoire, c'est l’association Melrose qui organise les concerts.
Pour assumer ses engagements vis à vis des artistes programmés, la
voilà obligée de partir en quête d’autres salles du département
: la Citrouille à Saint Brieuc, les Fous Anglais à Carnoët, les
Menhirs à Saint-Servais ou encore la Grande Ourse, la nouvelle salle
de Saint- Agathon … Heureusement, toutes ces salles mettent leurs
locaux à disposition gratuitement, même Saint- Servais !
- Pourquoi ce «
même » Saint-Servais ?
- Allez , je vous
charrie , Commissaire, je sais bien qu’il ne faut surtout pas
égratigner votre petite commune natale.
- Votre humour me
laisse froid !
-
Pas autant que….
-
Oh ! ça va ! En tout cas, ce repli sur la Grande Ourse, c’est une
excellente idée. J’ai entendu la maire de Callac vanter cette très
belle salle. Comme elle vient d’être inaugurée après avoir
suscité une polémique lors des dernières municipales, le maire de
Saint-Agathon a dû penser que reprendre la programmation d'excellent
niveau de Melrose pourrait aider sa salle à décoller ce qui ferait
taire les mauvaises langues... Soyons francs, même si cela me coûte
de l'avouer, il est probable que ça devrait attirer plus de monde
que notre salle des Menhirs à Saint- Servais...
- Je n’en doute
pas, Patron. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Mais
c’est dommage pour votre petit coin de Centre-Bretagne. Encore un
peu moins d'offre culturelle de proximité pour les gamins du coin.
Et puis, on ne retrouvera jamais l’ambiance des soirées du
dimanche après-midi du Bacardi. J'en parle en connaissance de cause,
moi qui adore le blues, j’ai découvert quelques pointures dans
cette salle. Ce qui est désolant c'est que les habitants du canton
se font une telle fausse idée de ce lieu, souvent sans y avoir mis
les pieds, qu'ils ne vont pas lever le petit doigt pour essayer de le
sauver.
- Vous croyez donc
que Melrose risque de ne pas s’en relever ?
- Oh ! Vu aussi
l’empressement que mettent les élus locaux à prendre le dossier
en main et le niveau des subventions votées par les communes du
canton , ça ne m’étonnerait pas. Il n’y a guère que la commune
de Callac qui a respecté la règle des 1.50 € par habitant et
puis, avec les élections départementales dans une semaine, les
candidats doivent avoir d’autres chats à fouetter.
- C’est sûr, dans
ces périodes de campagne électorale, c’est langue de bois et pas
de sujet qui fâche. Donc ce n’est pas le moment de s’engager sur
un rachat de salle ou un renforcement de subventions. La ruralité et
le refus des déserts culturels en milieu rural, ça fait bien dans
les colloques mais les belles paroles sont vite oubliées quand
arrive la période des budgets...
- Oui, et puis le
coup de filet chez les trafiquants de drogue locaux ne plaide pas
pour ce genre de lieux. L’électeur de plus de 60 ans y voit plus
une plateforme diabolique de distribution d’alcool, de drogue et de
sexe qu’un lieu de culture et de convivialité si nécessaire
pourtant dans un milieu rural en perte de repères.
- Oui, c'est
classique... Bon, autre chose qui fâche tant qu’on y est, cette
histoire de projet minier, on en est où ?
- Pas de problème :
nous avons une taupe dans le collectif, et bien placée avec ça !
- Encore une taupe !
Une taupe chez le Hérisson Callacois, une taupe chez Douar Didoull.
C’est un élevage de taupes que vous faites, Harry! Mais,
dites-moi, ça ne doit pas être facile d’infiltrer une taupe dans
une « Terre sans trou » ?
- Pardon ?
- Ah ah ah ! C’est
vrai, vous n’êtes pas bretonnant, vous ne pouvez pas comprendre :
Douar Didoull ! Douar, « terre » et didoull « sans trou » : Terre
sans trou ...
- Ben, vous avez
peut-être raison parce que notre taupe a l’air de plus en plus
convaincue par les arguments du collectif...
- Sans blague !
Pourtant le maire de La Chapelle-Neuve prétend que le collectif ne
dit que des conneries !
- S'il n'a pas
creusé plus loin que le dossier de Variscan Mines, ça se comprend !
Le patron de cette société est un embrouilleur de premier ordre !
Il ne communique que sur le projet d’exploration minière en
évacuant les problèmes liés à l’exploitation,
exploitation qui ne manquera pas de suivre si les recherches sont
favorables. Or il y a une forte probabilité qu'elles le soient et
qu’on trouve des minerais intéressants dans le coin. Et comme
actuellement, vu le cours des matières premières, on n'hésite pas
à creuser une tonne de terre pour quelques grammes de minerai ….
En plus l’Etat pourra difficilement refuser l’exploitation
à ces sociétés après avoir accordé ces permis exclusifs
d’exploration pour lesquels elles auront engagé d'énormes
sommes d'argent...
- Oui mais
maintenant, quand même, on ne fait plus n’importe quoi ! Il y a
des normes environnementales. On ne déverse plus le cyanure ou le
lisier dans les rivières, Harry !
- C’est ce que le
patron de Variscan Mines espère faire gober aux élus et aux
citoyens : « la mine propre » ! D'après lui, tout est sous
contrôle : on stocke tous les produits chimiques et on récupère
l’eau polluée utilisée pour extraire les quelques grammes de
minerai dans la terre, on capture le radon qui s’échappe dans
l’air, on conserve les milliers de tonnes de déchets en sous-sol
et puis quand on ferme la mine, on rebouche tous les trous. Bref,
tout redevient comme avant. Le problème, c’est que personne ne
sait où elle peut se visiter « la mine propre »... à part dans
les ordinateurs du BRGM.
- Mais, vous êtes
marrant, ça doit quand même rapporter de l’argent, cette
affaire-là ?
- A VARISCAN MINES,
c’est sûr, puisqu'après avoir surévalué les résultats de leur
exploration ils revendent leur PER au plus offrant sur le
marché mondial en vue de l'exploitation. Mais pour les
collectivités locales, apparemment rien à gagner. C’est l’Etat
qui est propriétaire du sous-sol et le moins qu’on puisse dire
c’est que le préfet est très discret sur les retours financiers.
- Si je comprend
bien, Harry, on risque d’avoir encore des soucis avec le Collectif.
- Oh, ce ne sont pas
des méchants mais vous savez les Bretons ont la tête dure.
Rappelez-vous Plogoff !
- Oui et puis on est
dans un contexte de ras-le-bol généralisé. Vous croyez que le FN a
ses chances aux départementales chez nous ?
- Il faut dire que
les élus en place font tout pour apporter de l’eau au moulin des «
bleus marine ». A part quelques-uns qui sont vraiment sur le terrain
comme notre députée, les autres ont surtout l’air de défendre
leurs indemnités : pas de vagues, pas de risques du moment qu’on
passe et qu’on repasse d'élection en élection... Et comme au
niveau au-dessus nos parlementaires refusent avec encore plus
d'opiniâtreté de réduire leur train de vie pendant que de plus en
plus d'entre nous tirent la langue, la classe politique a perdu toute
crédibilité. Alors c'est sûr que le coup de pied dans la
fourmilière, ils y auront droit tôt ou tard.
- Ouououh ! vous
n’êtes pas optimiste, Harry !
- C’est ce qui
remonte des rapports. Mais regardez par exemple comment les élus de
notre secteur se comportent pour la réforme territoriale. « Wait
and see ». Surtout ne rien dire, ne rien faire. Surtout ne pas
interroger le citoyen. Restons dans nos petits clochers. Après nous
le déluge alors qu’ils savent que le 1er janvier 2017
il faudra rejoindre des collectivités de taille suffisante pour
pouvoir se payer les services que l’Etat ne fournit déjà plus :
urbanisme, assainissement, santé … C'est d'une immense complexité
à mettre en place et le 1er janvier 2017, c'est demain, mais
personne ne bouge ! « Wait and see »...
- Mais, Harry, les
gens ne sont pas idiots. Ils savent bien que lorsque ces chemises
bleu- marine sont au pouvoir c’est une catastrophe pour la gestion
de la collectivité et pour toutes les libertés !
- C’est sûr,
pourtant je vous assure que beaucoup de citoyens envisagent
sérieusement la politique du pire pour ébranler cette petite caste
qui oublie qu’elle est élue non pas pour décider à la place du
peuple mais pour réaliser les engagements qu'elle a pris lors de la
campagne vis à vis de celui-ci.
- Mais, dites-moi,
Harry, vous feriez un excellent tribun révolutionnaire et je vous
donne raison... Quand je vois comment la majorité callacoise tient
ses promesses de campagne, c’est à pleurer ! On comprend que les
électeurs en aient ras la casquette. Au fait puisqu'on en arrive aux
bévues de la majorité callacoise, elle en est où la mine de métaux
rares à ciel ouvert au bord du plan d’eau ?
- Ah ! les fameuses
boues de curage ! La municipalité n’est pas trop bavarde sur le
sujet. Elle a fait refaire des analyses et, pour l’instant, on
attend toujours…Ça commence à être vraiment long, ce n’est pas
bon signe…
- Ça pourrait
peut-être intéresser vos prospecteurs, non ?
- Je ne sais pas
mais ce que je sais c'est que « Des trous, des boues et quelques
marlous » cela ne fait pas pour Callac un slogan qui sent la rose !
Vivement le printemps !
-
Driiing, Driiing, Driiing...
-
Allo...........Quoi
! N'è ket posub ! Le Guervilly pollué à Calanhel par un
déversement de lisier ! Mais le Guervilly alimente le plan d’eau
de Callac ! Il ne manquait plus que ça ! J'arrive !....Allez,
Inspecteur Harry Soon, vous m'accompagnez, nous ne serons pas trop de
deux car je commence à croire que dans le canton de Callac on veut
notre mort ! N'è ket posub, n'è ket posub !
à
suivre :la prochaine enquête de l’Inspecteur Harry Soon : le bruit
et l’odeur….
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